Plus que jamais le contexte international invite à mettre en place une réflexion autour de la défense, y compris la défense commerciale !
Présenté devant la commission des Affaires européennes de l’Assemblée nationale en février, mon rapport d’information sur les instruments de défense commerciale de l’Union européenne (UE) vient d’être publié en ligne.
Bien que ce travail ait été présenté avant que la Russie n’envahisse l’Ukraine, les changements profonds du système international sur un temps plus long ont influé sur les conclusions de mon rapport : la posture agressive de la Russie et la montée en puissance de la Chine ne datent pas d’hier. Ces évolutions rendaient nécessaire, comme l’a reconnu le président Macron dans son discours de la Sorbonne de septembre 2017, de doter l’Europe d’une autonomie stratégique sur le plan militaire, industriel, technologique, énergétique, mais aussi… commercial !
Si la notion de défense renvoie avant tout au champ lexical militaire, elle englobe une réalité plus vaste. En effet, pour protéger ses intérêts dans ses échanges économiques avec les pays tiers, l’UE s’est dotée de plusieurs instruments de défense commerciale. Il convient de noter ici que la politique commerciale commune est une compétence exclusive de l’Union. C’est donc Bruxelles qui mène les négociations sur les accords de libre-échange avec les pays tiers. Bien que l’Union ait souvent été décriée comme un « nain militaire », elle est bel et bien un géant commercial : « les 27 » représentent la 1ère puissance commerciale au monde ! Il est bon de le rappeler.
Néanmoins, à l’heure actuelle, nous devons développer davantage cette puissance commerciale européenne, pour défendre de manière plus efficace nos intérêts et nos valeurs. En témoignent, entre autres, les récents problèmes liés à l’approvisionnement en matières premières. L’Europe a pris conscience de ses dépendances et doit maintenant œuvrer à les réduire : les chefs d’État et de Gouvernement, réunis à Versailles les 10 et 11 mars derniers, ont enfin pris des engagements encourageants en ce sens.
Concrètement, de quels moyens dispose l’UE en matière de défense commerciale ?
Historiquement, l’UE dispose de 3 mesures de défense commerciale : les mesures antidumping, les mesures antisubventions et les mesures de sauvegarde. L’Union utilise ces outils avec intelligence et elles montrent leur efficacité : près de 350 000 emplois directs sont protégés par les mesures en vigueur ! Ces mesures visent à garantir des conditions de concurrence équitables pour nos entreprises, à pénaliser des subventions accordées par des États tiers qui seraient contraires au droit international et à protéger notre industrie.
Cependant, les évolutions internationales nous invitent à moderniser cette politique de défense commerciale pour renforcer « l’autonomie stratégique ouverte » que prône la Commission européenne. L’heure est venue d’en finir avec une certaine naïveté qu’on pouvait reprocher à l’Europe pour mettre en place une « Europe qui protège ». En effet, contrairement à des acteurs comme les États-Unis ou la Chine, l’Europe a longtemps mené une politique de défense commerciale très, voire trop prudente. C’est la raison pour laquelle je plaide pour une prise en compte accrue des intérêts des producteurs, de manière à conduire une politique économique européenne cohérente, qui tienne compte de nos intérêts commerciaux à l’international et de notre politique industrielle à l’intérieur de l’Union.
Ainsi, en 2020, Bruxelles a nommé un procureur commercial qui veille à la bonne application des accords commerciaux que nous avons conclus avec des États tiers. D’autres mesures sont en cours de préparation, comme un outil d’anti-coercition qui doit protéger l’Union et ses États des pressions commerciaux exercées par des puissances comme la Russie ou la Chine.
Mes recommandations et les avancées réalisées par la présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE)
Pour aller plus loin, je préconise d’avancer rapidement, dans le cadre de la présidence française de l’Union, sur d’autres mesures qui visent à protéger l’environnement, les droits de l’homme ou notre industrie, mais qui ont aussi une incidence sur le commerce : c’est le cas du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ou du Chips Act. Ces mesures doivent nous donner une plus grande marge de manœuvre dans nos rapports commerciaux avec des États tiers.
Les violences infligées aux Ouïghours en Chine nous invitent aussi à réfléchir à une plus grande conditionnalité en matière de droits de l’homme dans nos accords commerciaux. À ce titre, l’Assemblée nationale a voté le 20 janvier dernier une résolution qui reconnaît et condamne le caractère génocidaire des violences politiques systématiques et les crimes contre l’humanité perpétrés par le régime pékinois à l’égard des Ouïghours.
Enfin, je suggère de mener un travail de sensibilisation auprès des PME dans les territoires, afin que celles-ci puissent saisir les institutions européennes et nationales pour permettre de mobiliser les instruments de défense commerciale dans un nombre plus grand de secteurs.
Depuis la présentation de mon rapport, l’UE a fait d’importants progrès. Nous pouvons nous féliciter des avancées faites par la présidence française de l’Union sur un instrument visant à imposer une plus grande réciprocité dans l’ouverture des marchés publics. Ceux-ci sont très ouverts en Europe aux entreprises extra-européennes, contrairement aux États-Unis ou la Chine. Le 14 mars dernier, les institutions européennes ont trouvé un accord sur un l’instrument pour la réciprocité sur les marchés publics. C’est une grande réussite pour l’Europe et la présidence française du Conseil, dont je me réjouis particulièrement puisque la mise en place d’un tel mécanisme figure parmi les principales propositions que je préconise dans mon rapport.
Pour retrouver la liste détaillée de mes propositions, vous pouvez consulter le rapport d’information sur le site de l’Assemblée nationale : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/due/l15b5125_rapport-information.pdf