Suzanne Noël : de la chirurgie réparatrice des "gueules cassées" au club Soroptimist

Samedi matin avait lieu l'inauguration de la fresque représentant Suzanne Noël. Voici le discours prononcé par Monique Marichez à cette occasion :

"Suzanne Noël était une femme intelligente, courageuse, passionnée et charismatique. Elle est née Suzanne Gros en 1878, à Laon, dans une famille bourgeoise. Son père meurt alors qu'elle n'a que six ans. A dix-neuf ans, elle épouse le Docteur Henri Pertat, âgé de vingt-huit ans.

A peine mariée, Suzanne se jette dans les études qui sont menées à bien, avec l'accord de son mari. En trois ans, elle obtient son baccalauréat et son PCN puis commence sa médecine. Elle est nommée externe des hôpitaux en 1908, et débute chez le Professeur agrégé Hippolyte Morestin, à l'hôpital militaire du Val de Grâce. Elle y fera la connaissance d'un jeune collègue, André Noël, qui a sept ans de moins qu'elle. Elle ignore alors qu'il deviendra son second mari. Elle admire profondément le Professeur Morestin. Quand il opère avec succès une cicatrice de brûlure déformant la joue d'une petite fille, elle est subjuguée. Elle en gardera un souvenir qui ne s'effacera jamais et sera probablement à l'origine de sa vocation pour la chirurgie esthétique. Le Professeur Morestin lui montre par exemple aussi comment cacher une cicatrice dans les cheveux d'un patient ou dans les plis de sa peau.

En 1909, elle est externe à l'hôpital Saint-Louis, en dermatologie. Elle y retrouve André Noël et ils préparent ensemble le concours de l'internat. Suzanne donne naissance à une fille qu'elle prénommera Jacqueline. Elle se présente en 1912 au concours de l'internat. Suzanne, première à l'écrit, se classe finalement quatrième, ce qui est une performance, notamment quand on connaît les noms d'autres étudiants de la même promotion, comme Louis Pasteur Valléry-Radot, qui a laissé une trace dans l'histoire de la médecine. Elle prend alors son premier poste d'interne à l'hôpital Saint-Louis. Là, elle se risque à quelques interventions limitées, à visées esthétiques sur des patients volontaires. L'une de ses premières patientes sera l'actrice Sarah Bernhardt, dont elle améliorera le lifting, à demi-réussi seulement aux États-Unis.

Lorsque survient la guerre en août 1914, Henri Pertat, son mari, est dégagé de toute obligation militaire. Il s'engage cependant et demande à partir pour le front. Il reste en Belgique où son dévouement et son sang-froid lui valent les Croix de guerre française et belge. Durant la guerre, Suzanne est autorisée, comme tous les internes, à exercer la médecine sans avoir à soutenir de thèse. Elle travaille dans de dures conditions matérielles. Les blessés de la face, que l'on nommera "les Gueules cassées", affluent, elle se dépense sans compter auprès du Professeur Morestin, reconstruisant les tissus, les muscles, les tendons, les muqueuses, et inaugurant ainsi les premières greffes de peau... Mais l'autorisation accordée aux internes d'exercer sans avoir soutenu de thèse, expire à la signature du traité de paix. Henri Pertat, son mari, qui avait participé en 1915 à des essais d'appareils contre les gaz asphyxiants, avait inhalé du gaz chloré. Il meurt fin 1918, à quarante-neuf ans. Durant ce terrible hiver, la grippe espagnole fait d'effroyables ravages. Suzanne travaille jour et nuit et elle a d'autant moins le temps de rédiger une thèse qu'elle croise de nouveau André Noël, fraîchement démobilisé et décoré. En octobre 1919, ils se marient. Elle va avoir quarante-deux ans...

L'histoire de Suzanne Pertat se termine, l'histoire du Docteur Suzanne Noël commence. André Noël termine son internat et soutient sa thèse en 1921 avec l'objectif d'exercer rapidement la dermatologie. En janvier 1922, la fille de Suzanne Noël, Jacqueline, attrape la grippe espagnole. Bien que tous les grands patrons de l'époque défilent, impuissants, à son chevet, elle meurt en quelques jours. La mort brutale de cette jeune fille laisse André Noël, qui avait toujours pensé (ou espéré) en être le père, dans un désarroi total. Il se suicidera en 1924, en se jetant dans la Seine depuis un pont de Paris. Suzanne fera ensuite des pieds et des mains pour que les ponts de Paris soient équipés de bouées de sauvetage et elle l'obtiendra.

C'est cette femme meurtrie, qu'un Américain, Stuart Morrow, avait contacté dès 1923 pour créer un premier club Soroptimist en Europe continentale. Immédiatement séduite, puis rapidement passionnée par les buts du Soroptimist, Suzanne réunit quelques amies issues des professions libérales, artistiques ou des milieux d'affaires et fonde en octobre 1924 le premier club Soroptimist du continent européen, le club de Paris. Ce club, devenu depuis Paris-Fondateur, compte parmi ses membres Thérèse Bertrand-Fontaine, première femme médecin des hôpitaux, Cécile Brunschvicg, première française secrétaire d'État, l'écrivaine Anna de Noailles, la grande couturière Jeanne Lanvin, la comédienne Béatrix Dussane, de la Comédie française, les musiciennes Nadia Boulanger et Lily Laskine ... et tant d'autres.

En 1925, à 47 ans, elle prend enfin le temps de soutenir sa thèse, puis renoue avec une vie exceptionnelle de travail inlassable, consacrée à la chirurgie esthétique et au développement du mouvement Soroptimist. Sachant s'exprimer de façon vivante, ses conférences sur la chirurgie esthétique ont beaucoup de succès. Toujours, elle profite de l'occasion pour parler du Soroptimist et amorce, lorsque c'est possible, la constitution d'un club. Elle a le génie de susciter les vocations et un talent infaillible pour découvrir la personnalité locale qui présidera aux destinées du nouveau club. Elle fonde successivement les clubs de La Haye, d'Amsterdam, de Vienne, de Milan, de Berlin, d'Anvers, de Genève, les clubs baltes dont Tallin, en Estonie, ceux d'Oslo, de Budapest, et même ceux de Pékin et Tokyo. Les Ambassades de France voient d'un très bon œil son arrivée, les conférences qu'elle donne attirant la foule de tout ce qui compte dans le pays. C'est d'ailleurs au titre du ministère des Affaires étrangères qu'elle reçoit la Légion d'honneur et la reconnaissance de la Nation en 1928 pour sa contribution à la notoriété scientifique de la France sur la scène internationale.

Elle fonde et devient la première présidente de la Fédération européenne continentale, qui a pour nom actuel le SIE (Soroptimist International Europe). Toute cette activité est menée parallèlement à la chirurgie esthétique. Dans cette pratique, Suzanne Noël se montre très inventive et l'on reste confondu d'admiration devant les résultats obtenus avec une extraordinaire économie de moyens. Les complications infectieuses en particulier sont exceptionnelles. Se lançant dans une chirurgie plus lourde, elle est à l'origine de la technique du dégraissage, ancêtre de la lipo-aspiration. Elle invente de nombreux instruments qui lui font défaut, des pinces, un crâniomètre et des gabarits, véritables patrons d'essai permettant au patient de choisir sa nouvelle image. Elle s'intéresse également aux incidences psychologiques de ses interventions. Elle analyse avec finesse les réactions de l'entourage des femmes auxquelles elle donne une seconde jeunesse. Malheureusement, en 1936, une cataracte traumatique interrompt ses activités. Elle les reprendra, après son opération, de façon limitée. Durant la seconde guerre mondiale elle passe dans la clandestinité : elle modifie les visages des résistants ou de juifs recherchés par la gestapo.

À la libération, elle intervient pour effacer les séquelles physiques des déportés et camps de concentration nazis.

A 75 ans, elle continue à opérer, surtout les enfants que des disgrâces font souffrir moralement (bec-de-lièvre, oreilles décollées, taches colorées...). Suzanne Noël meurt en 1954. Elle est enterrée au cimetière Montmartre.

C'est pour que le souvenir de l'action Soroptimist de Suzanne Noël ne se perde pas que les Chartes des nouveaux clubs en Europe sont remises en son nom. Une bourse destinée à aider une femme médecin à se spécialiser en chirurgie plastique est périodiquement attribuée. Menée dans deux domaines différents, la bataille livrée par Suzanne Noël a été, en fait, unique, pour l'émancipation des hommes et des femmes. Le droit pour quiconque de refuser une physionomie ingrate, un corps disgracieux, c'est le droit de se choisir librement, on peut même dire de choisir son destin.

De même, se grouper pour revendiquer les droits des femmes, affirmer leur solidarité, et protéger les jeunes filles, c'est aussi une façon, pour les femmes, de choisir leur destin. C'est pourquoi, les Soroptimist sont toujours heureuses d'honorer sa mémoire. De nombreux lieux portent son nom en France métropolitaine, dans les DOM et à l'étranger, comme à Abidjan, par exemple : des centre d’accueil ou de recherche, résidence, rue, avenue, rond-point, salle, hall, impasse, square, jardin, parking… Je ne désespère pas qu'un jour nous en obtenions un à Béthune, afin que son nom soit prononcé régulièrement.

Mais en attendant, je me réjouis que notre club Soroptimist fasse connaître cette grande dame grâce à cette fresque. Merci à la présidente du club 2018-2020, Joëlle Declercq, aux propriétaires de la maison qui ont autorisé le graff, merci à l'artiste Bertrand Parse et merci à la municipalité et à toutes celles et ceux qui ont rendu possible l'hommage qui lui est ainsi rendu. Je vous remercie de votre présence et de votre attention."

Sources : 1) livre : "Suzanne Noël (1878-1954) Pionnière de la chirurgie esthétique et du mouvement féminin Soroptimist " par le Dr Jeannine JACQUEMIN 2) Histoire du Soroptimist International par Janet Haywood 3) Article du Soroptimist International Union Française, le 11 novembre 2019, à l'occasion de l'anniversaire du décès de Suzanne Noël, le 11 novembre 1954 3) Article : "Suzanne Noël, femme d'exception" par le SI club de Lyon Tête d'Or publié le 04 mars 2017 4) "Portrait de Suzanne Noël" par Marc Messier sur Europe 1, le 26 novembre 2017 5) Article du Figaro Madame : "Suzanne Noël, chirurgienne aux mains nues" par Marion Louis , (d'après les renseignements de Christine Dagain, du Soroptimist International club de Foix), le 29 juillet 2019.

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