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L'Assemblée Nationale

A la demande de la Présidente de la Commission des Affaires européennes Sabine Thillaye, dans le cadre d’un binôme avec mon collègue Pieyre-Alexandre Anglade, député des Français établis au Bénélux, j’ai présenté une communication sur les nouvelles solidarités européennes qui doivent émerger suite  à la crise de la COVID19.

En effet, les différentes crises traversées par l'Union Européenne ont toujours été l’occasion de renforcer la solidarité entre les États membres. La crise sanitaire, comme auparavant la crise financière et la crise des dettes, a fait prendre conscience de l’interdépendance entre les pays européens et de la nécessité d’une plus grande solidarité financière et budgétaire. Il reste néanmoins à construire dans l’Union européenne une véritable solidarité économique. Il s’agira à présent de passer d’une « solidarité subie » en temps de crise à une véritable « solidarité de projet » fondée sur une « européanisation des relations industrielles ».

Je vous livre donc cette communication en date du 22 juillet 2020.

« Chers collègues,

nous sommes heureux de clôturer ce cycle de communications car le sujet sur lequel nous avons travaillé est transversal, et constituera en quelque sorte la synthèse de tout ce qui a été dit, avec justesse et pertinence, par nos prédécesseurs.

Nous avons en effet travaillé sur le thème « réinventer la solidarité européenne », notion au cœur de toutes les réflexions que nous avons entendues ces dernières semaines et même, j’ose le croire, au cœur du projet européen depuis ses origines.

Depuis le début de la crise sanitaire, la solidarité s’est manifestée dans l’Union de différentes façons :

  • il y a d’abord eu une solidarité en matière d’équipements médicaux : c’était la communication de mercredi dernier, présentée par Jean-Pierre Pont et Marietta Karamenli ;
  • il y a eu, simultanément, la prise de conscience d’une solidarité liée au marché intérieur : les liens d’interdépendance entre les Etats membres et les risques de rupture des chaînes de production et d’approvisionnement que pouvaient pouvait entraîner la fermeture des frontières nationales sont apparus clairement ; c’est la communication que nous venons d’entendre, présentée par Pierre-Henri Dumont et Valérie Gomez-Bassac ;
  • il y a eu, enfin – tardivement peut-être, mais beaucoup plus vite que lors de la crise des dettes souveraines – une solidarité financière et budgétaire, qui s’est matérialisée par l’action de la BCE et par les dérogations aux règles touchant au déficit public, à l’endettement public et au régime des aides d’Etat ; c’était l’objet des deux communications présentées par Frédérique Dumas, Xavier Paluszkiewicz et Liliana Tanguy.

Nous aimerions évoquer autre forme de solidarité qui se dessine dans un contexte international profondément bouleversé par les suites de la crise sanitaire. Il s’agit des solidarités industrielle, numérique et technologique, c’est-à-dire d’une solidarité économique qui dépasse les simples règles formelles liées au marché intérieur et au budget commun. Il ne s’agit pas d’une solidarité reposant sur des contraintes, mais d’une solidarité de projets, assise sur des préférences collectives à défendre face aux autres puissances mondiales.

Notre exposé se présente en deux temps :

  • d’abord, montrer que la « solidarité européenne » se manifeste surtout en réponse à des crises et n’a pas permis de créer une véritable puissance économique ;
  • ensuite, montrer qu’il faut concevoir l’intérêt général européen de manière globale et construire une véritable solidarité industrielle fondée sur des préférences partagées.

 1. Une « solidarité de fait » qui peine à s’affirmer en matière économique et industrielle

  1. Une solidarité « au forceps », en réponse aux crises traversées par l’Union

Le principe de solidarité apparaît dès la célèbre « déclaration Schuman » [1]. Il est ensuite énoncé dans le préambule du Traité sur l’Union européenne (TUE) qui fixe comme objectif « d’approfondir la solidarité entre les peuples dans le respect de leur histoire, de leur culture et de leurs traditions ». L’article 3 du TUE affirme solennellement que l’Union « promeut la cohésion économique, sociale et territoriale, et la solidarité entre les Etats membres ». Mais au-delà de ces déclarations de principe qui ont d’abord une valeur symbolique, la notion de solidarité est peu reprise dans les traités, si ce n’est au sein de domaines très circonscrits :

  • en matière de politique étrangère et de sécurité commune (article 24 TUE)
  • en matière de politique d’asile et d’immigration (article 80 TFUE)
  • afin d’assurer la sécurité de l’approvisionnement énergétique de l’Union (art 194 TFUE)

Dans d’autres domaines, c’est plutôt une « clause de non-solidarité » qui prévaut, je pense en particulier à la clause « no-bailout » de l’article 125 du TFUE (ou « clause non-renflouement » en français), qui affirme expressément que les institutions européennes ne sont pas solidaires des engagements financiers pris par les différents Etats membres. Le principe général, rappelons-le depuis le traité de Lisbonne, est que l’Union européenne ne dispose que d’une compétence d’attribution. La solidarité ne saurait s’exercer que parmi les politiques que l’on a choisi de déléguer au niveau communautaire et, au sein de celles-ci (à l’exclusion des compétences « exclusives »), dans les limites posées par le principe de subsidiarité.

Il existe, il est vrai, une clause générale de solidarité prévue à l’article 222 du TFUE ; mais celle-ci se limite à des évènements exceptionnels et par nature imprévisibles, tels que les attaques terroristes ou les catastrophes naturelles. Si cette « clause de solidarité » a pu être utilement invoquée en réponse à la pandémie (assimilée en quelque sorte à une catastrophe naturelle), il n’en reste pas moins qu’elle a vocation à n’être activée que de manière ponctuelle et limitée dans le temps : ce n’est pas une solidarité de prospérité, mais une solidarité de crise.

Les différentes crises qu’a connues l’Union ont néanmoins eu pour effet d’affirmer des solidarités qui, initialement conçues pour être temporaires, ont changé durablement les pratiques et les rôles des institutions communautaires. L’exemple le plus emblématique serait la façon dont la mission de la Banque centrale européenne (BCE) a évolué depuis une dizaine d’années à droit constant. Après des réserves initiales tenant au respect de la « clause de non-renflouement », elle a dû consentir à racheter sur le marché secondaire les titres de dette des Etats en difficulté, ce qui revenait à contourner l’interdiction de financer directement le déficit public. Ces interventions se sont prolongées bien après la fin de la crise des dettes souveraines ; elles ont même été renforcées depuis le début de la crise sanitaire avec l’abandon du principe de « proportionnalité ». De la même façon, l’application des règles budgétaires pourrait être durablement aménagée et il serait naturel que nous transposions en temps normal, dès que nécessaire, des mesures qui ont montré leur efficacité en temps de crise.

Ces exemples montrent également que la solidarité européenne est d’abord, pour reprendre l’expression de Schuman, une « solidarité de fait », pour ne pas dire une « solidarité subie » voire, comme dirait Yves Bertoncini… une solidarité « au forceps »[2]. C’est quand les Etats européens ont constaté leur interdépendance et leur vulnérabilité réciproque face à des chocs extérieurs – c’est le cas notamment de la crise financière dite « systémique » de 2008, puis de la crise des dettes souveraines avec la crainte d’un « effet domino » – qu’ils ont été forcés malgré eux de faire progresser les mécanismes de solidarité.

La crise du coronavirus présentait des caractéristiques analogues : d’abord les Etats ont été tentés de fermer leurs frontières ou de restreindre les exportations de matériels médicaux ; ils se sont rapidement rendu compte du fait que ces mesures nationales n’étaient dans l’intérêt de personne, car cela brisait les chaînes de production et d’approvisionnement dont ils étaient les maillons. Désormais, le consensus est bien plus grand pour déléguer à l’Union européenne des compétences élargies, notamment en matière de réponse sanitaire.

La solidarité européenne est donc conçue de manière réactive, comme moindre mal, et quand les Etats se retrouvent « au pied du mur ». C’est donc à nous de penser les formes d’une solidarité pérenne qui soit un instrument de réussite plutôt qu’un pansement de fortune.

b. En matière industrielle, rivalité plutôt que solidarité

Nous pensons que cette solidarité stratégique doit désormais se matérialiser dans un domaine où prévalent aujourd’hui les intérêts nationaux, à savoir la solidarité industrielle.

La solidarité industrielle européenne est le terrain des « occasions manquées ». On se souvient de la fusion manquée entre Schneider et Legrand, en 2001. En 2007, le Tribunal de l’Union a condamné la Commission à indemniser le groupe Schneider pour avoir interdit cette fusion qui aurait dû être autorisée vu le droit européen de la concurrence : mais c’était trop tard. Plus récemment, le refus de la fusion entre Altsom et Siemens a suscité un grand émoi en France et en Allemagne. La Commission européenne affirmait que le Chinois CRRC ne représentait pas « à moyen terme » un concurrent sérieux pour les entreprises européennes. Quelques mois plus tard, CRRC rachetait le groupe allemand Vossloh et faisait ainsi son entrée sur le marché européen.

Tout se passe donc comme si le droit européen de la concurrence et son corollaire, le régime des aides d’Etat, n’avait pas pour but de permettre à nos entreprises de faire concurrence aux entreprises chinoises ou américaines mais de s’assurer qu’elles se fassent concurrence entre elles, ce qui finit inévitablement par les affaiblir.

Par le passé, il est même arrivé que les entreprises européennes fassent alliance avec des entreprises asiatiques pour gagner des parts de marché face à leurs rivales… européennes ! Dans les années 2000, plusieurs entreprises occidentales – dont Siemens – ont consenti à des transferts de technologie en faveur des industriels chinois pour prendre des parts de marché à Alstom. Aujourd’hui, ces entreprises sont obligées de s’allier pour survivre face à CRRC. De la même manière, la concurrence entre les entreprises européennes Alcatel, Nokia et Ericsson ont servi les intérêts de Huawei à qui nous sommes désormais obligés d’avoir recours pour déployer les réseaux 5G – ce qui pose, comme vous savez, des questions légitimes de sécurité. On peut aussi s’interroger sur les transferts de technologie dont va bénéficier la Chine à la suite du rachat de l’entreprise suédoise Volvo, qui avait développé une compétence reconnue en matière de moteurs hybrides.

A l’inverse, la solidité d’Airbus – secteur où il y a un monopole européen mais un duopole mondial – lui a permis de résister aux pressions de ses concurrents chinois et de préserver pour quelques années encore son avance technologique. En 2017, Airbus a racheté plusieurs programmes de Bombardier et empêché ainsi que le Chinois Comac bénéficie d’un bond technologique qui en aurait fait le « CRRC de l’aéronautique ». Dans ce secteur comme dans tous les secteurs à forte densité capitalistique, l’unité des entreprises européenne est la seule façon de préserver nos atouts dans la compétition mondiale.

J’aimerais en outre revenir sur la décision du Tribunal de la semaine dernière, relative à l’affaire des « aides d’Etat » accordées à Apple par l’Etat irlandais. La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) considère que la Commission a qualifié à tort « d’aide d’Etat » les conditions fiscales favorables que le gouvernement irlandais a octroyées à Apple. Voici le message envoyé à nos concitoyens : la réglementation européenne interdit d’aider nos entreprises, mais elle n’interdit pas d’aider les multinationales ! Quelle va être la crédibilité de la Commission à présent quand il s’agira de défendre les intérêts financiers et économiques de l’Union face aux GAFAM ?

En matière industrielle il n’existe donc pas de véritable solidarité, et je dirais c’est même pire : la réglementation européenne a pour effet d’inciter :

  • nos entreprises à faire alliance avec leurs concurrents étrangers, qui échappent bien sûr à notre juridiction ;
  • les Etats membres à accorder des régimes fiscaux avantageux à des multinationales en situation de monopole, dont ne bénéficieront pas les nouveaux entrants européens ;

2. Passer d’une « solidarité de fait » à une « solidarité de production », fondée sur des préférences industrielles partagées.

a. Dépasser l’opposition entre consommateurs et producteurs

Comment expliquer ce décalage entre un droit européen de la concurrence très fort, et une politique industrielle européenne pour ainsi dire inexistante ? Comment expliquer que les Européens ne soient pas prêts à investir ensemble pour construire des groupes industriels capables de s’affirmer dans la compétition mondiale, et préfèrent consommer des services numériques américains ou acheter des biens manufacturés en Asie ?

S’il est plus consensuel de protéger les consommateurs plutôt que de soutenir les producteurs, c’est parce que tous les Européens sont des consommateurs, alors que les centres industriels sont concentrés dans certaines régions de l’Union. Les prix bas garantis par la politique de la concurrence et par la politique commerciale laxiste de l’Union européenne profitent à tout le monde, mais une politique industrielle ambitieuse profiterait surtout aux pays qui, en raison d’une spécialisation historique ou d’une situation géographique favorable, attireraient à eux l’essentiel de la valeur ajoutée. On comprend dès lors les réticences de certains Etats, qui ont toujours prospéré grâce au commerce et au tertiaire : pourquoi acheter à la France ou à l’Allemagne (les pays d’Alstom et de Siemens), quand on peut acheter moins cher à la Chine ?

Mais en privilégiant systématiquement l’intérêt du consommateur, en réduisant le citoyen européen à un consommateur, nous avons eu une vision étroite et court-termiste de l’intérêt général européen. Nous avons subi, bien que ce constat soit différencié selon les pays et selon les secteurs, une délocalisation de la production, des pertes de compétences et des transferts de technologies. Et bientôt, à force d’acheter à prix bas des biens qu’ils n’ont pas produits, les consommateurs européens n’auront même plus la richesse nécessaire pour les acheter.

Mener une politique industrielle, cela implique de faire des choix sectoriels et géographiques et d’accepter de payer plus cher pour acheter des biens produits en Europe. C’est ici qu’intervient, encore une fois, la notion de « solidarité ». En contrepartie de la solidarité budgétaire et des bénéfices qu’ils tirent du marché intérieur, les Etats membres doivent accepter de payer un peu plus cher pour des biens qui seront produits par leurs voisins européens.

C’est d’ailleurs la logique historique de la PAC, qui correspond à la première politique entièrement européenne. La solidarité de la PAC se manifeste de deux façons :

  • une dimension budgétaire évidente ;
  • une dimension commerciale – des tarifs douaniers élevés – qui matérialise une forme de « préférence communautaire»

En contrepartie des avantages qu’elle allait tirer du marché intérieur pour son industrie, l’Allemagne a dû accepter de soutenir et d’acheter les produits agricoles français. C’est ce qu’explique le général De Gaulle dans une conférence de presse de 1964 : « des Six, c’est l’Allemagne qui accepta les plus grands changements dans son système économique. Car, jusqu’à présent, tout en subventionnant largement son agriculture, elle achète à des pays extérieurs à la Communauté la moitié de ses aliments. Saluons la preuve très claire de solidarité européenne qui ainsi donnée (…) et disons que notre fidélité aura l’occasion de répondre à la leur »[3].

C’est bien le terme de « solidarité » qu’emploie De Gaulle pour justifier cette préférence coûteuse accordée aux produits européens. Il fallait, pour reprendre une autre de ses formules, qu’en Europe « on y mange ce qui y pousse plutôt que ce qu’on y importe »

Dans le cas de la PAC, cette « préférence communautaire » était justifiée par un intérêt supérieur, l’exigence de sécurité alimentaire. Il ne fallait pas que nos approvisionnements agricoles dépendent du bon vouloir de nos partenaires commerciaux. La crise que nous traversons a eu pour effet de montrer la pertinence de ce concept de « souveraineté » ou « d’indépendance » stratégique défendu de longue date par la France. Jusqu’ici, personne ne s’inquiétait du fait que nous importions l’essentiel de nos médicaments ; à présent on veut relocaliser la chaîne de production des médicaments, dans un objectif « d’indépendance sanitaire ».

Mais nous aimerions montrer qu’une solidarité européenne serait justifiée pour bien d’autres raisons que la seule garantie de l’approvisionnement en médicaments et en produits agricoles. L’Union européenne se caractérise par des normes, par des valeurs, par des préférences collectives que nous devons affirmer face à nos partenaires étrangers. Dans le domaine du numérique, il s’agit par exemple de la protection des données privées ou du « droit à l’oubli ». Nous avons aussi des normes sociales et environnementales inscrites au cœur de l’identité industrielle européenne. Si nous ne sommes pas prêts à investir pour défendre nos préférences collectives, nous subirons nécessairement celles des consommateurs américains et asiatiques.

b. Vers une « solidarité de production » fondée sur des normes européennes

Nous en venons maintenant à une question plus pragmatique : comment mettre en œuvre cette solidarité industrielle, cette préférence communautaire, condition de notre autonomie stratégique ?

Les obstacles à cette solidarité sont multiples :

  • à l’intérieur de l’Union, comme nous l’avons vu, certains Etats membres pourraient penser qu’ils n’ont pas besoin de payer pour investir si en plus cela les condamne à acheter plus cher (c’était notamment la logique du Royaume-Uni) ;
  • à l’extérieur de l’Union, l’idée d’une « solidarité » ou d’une « préférence communautaire » pourrait être considérée comme une forme détournée de protectionnisme.

Pour ce qui du premier obstacle, il s’agit de créer une solidarité par l’interdépendance. Les chaînes de production relocalisées doivent être réparties dans l’ensemble des Etats membres, pour que chacun tire profit des externalités économiques des nouveaux investissements. Les segments des chaînes de valeur seraient divisées entre les Etats membres, de sorte qu’aucun ne puisse seul en tirer profit. Nous parviendrions à ce que Schuman appelait, dans une formule moins connue de sa Déclaration – à propos de la CECA –, une « solidarité de production ».

Quant au deuxième obstacle, il ne s’agit pas de renoncer au principe de libre échange, qui est globalement bénéfique pour l’Union, mais juste de s’assurer que le commerce international respecte certaines règles de réciprocité en matière sociale et environnementale. A cette fin, il s’agirait d’appliquer des barrières non tarifaires sur les produits importés qui ne respectent pas ces normes. Le mécanisme d’inclusion carbone, qui a d’ailleurs la faveur de Thierry Breton et d’Ursula von der Leyen, serait une manière indirecte d’accorder une préférence communautaire, sans discrimination de nationalité et dans la mesure seulement où nos partenaires commerciaux ne respecteraient pas ces règles que nous sommes les premiers à appliquer. Ce n’est pas du « protectionnisme » mais, pour reprendre l’expression de Pascal Lamy, du « précautionnisme » ; on ne protège pas des produits, mais des valeurs partagées par l’ensemble des citoyens européens.

Une fois ces objections de principe levées, il reste à définir quels secteurs seraient considérés comme « stratégiques » et quels seraient les outils les plus adaptés pour les développer.

Il ne fait nul doute, depuis la crise sanitaire, que le secteur chimique et pharmaceutique est devenu un secteur stratégique. Au sein de cette même commission, nous avons adopté il y a un mois, à l’unanimité, l’excellente PPRE – je sais que vous n’êtes pas de cet avis, Monsieur le Président, mais j’en suis sûr(e) vous soutenez le reste du propos – de notre collègue Fabrice Brun sur la relocalisation des chaînes de la production des médicaments et actifs pharmaceutique « essentiels ». Parmi les autres domaines stratégiques, nous pourrions également citer l’énergie et l’industrie verte, le numérique et le spatial, bref toutes les technologies de pointe nécessaires à l’affirmation d’une indépendance européenne.

Le nouvel outil des « projets importants d’intérêt européen commun » (PIIEC) semble être le commencement et l’avenir de la politique industrielle européenne. Il autorise en effet, à certaines conditions, une double dérogation au régime des aides d’Etat et au droit européen de la concurrence :

  • en permettant à des entreprises européennes de former des ententes ;
  • en permettant aux Etats membres de leur accorder des aides nationales

Il ne s’agit pas encore d’un véritable outil de « solidarité », parce qu’il s’appuie en réalité sur des initiatives nationales, c’est-à-dire en pratique sur les initiatives des « grands » Etats membres. Il s’adresse aussi, structurellement, plutôt aux entreprises qui ont d’importantes capacités d’investissement, c’est-à-dire aux grandes entreprises. Il faudrait donc réfléchir à une façon d’associer à ces grands « projets européens » l’ensemble des Etats membres et la totalité du système productif, de la start-up aux groupes industriels. On en revient donc à l’idée des « écosystèmes » défendue par Thierry Breton, idée très intéressante mais dont on voit encore mal comment elle va s’articuler avec le cadre des PIIEC.

De manière générale, les politiques européennes manquent de lisibilité et souffrent de leur caractère « technocratique ». L’acronyme « PIIEC » est peu compréhensible pour l’opinion ; même les spécialistes ne savent plus à quoi il correspond. Pourquoi ne pas créer un concept unique auquel on donnerait un nom plus clair ? Par exemple, les « alliances industrielles européennes » : « l’alliance européenne des batteries », « l’alliance européenne de l’hydrogène », voilà qui sonnerait bien mieux !

La création d’un label « Made in Europe » permettrait également de stimuler le sentiment de solidarité économique et de faire peser sur les producteurs ces exigences minimales qui correspondent aux attentes de nos consommateurs :

  • normes sanitaires bien sûr ;
  • normes relatives au droit du travail ;
  • normes environnementales et écologiques

Ces normes permettraient également d’homologuer les produits importés et d’y appliquer des tarifs douaniers différenciés.

Conclusion

Solidarité industrielle, sociale et commerciale sont liées. Nous ne pouvons faire prospérer une identité industrielle forte que si nous imposons à nos partenaires commerciaux des exigences strictes qui visent à protéger l’environnement, les travailleurs et les consommateurs. La « solidarité » européenne consiste donc à concevoir les intérêts des uns et des autres de façon globale : ne pas séparer les intérêts des consommateurs et des producteurs ; ne pas séparer les économies des différents Etats ; ne pas séparer les produits industriels de la façon dont ils sont produits. Il faut à présent sortir de la « logique du plus bas prix » et voir les choses à long terme pour faire émerger un véritable « intérêt général européen » (ou du moins un intérêt supérieur européen), qui naîtrait d’une « européanisation des relations industrielles » profitable à tous les Etats membres. »

 

[1] Déclaration du 9 mai 1950.

[2] Formule de Yves Bertoncini, « La solidarité européenne en temps de crise » (2020).

[3] Conférence de presse du 31 janvier 1964. 1’02’’47 sur l’archive de l’INA.

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